Retour sur la genèse du projet
Il y a plusieurs mois de cela, alors que la pandémie frappait de plein fouet l’ensemble du globe, l’archipel nippon par le biais de sa banque centrale annonçait alors le lancement d’un groupe de travail chargé d’étudier en profondeur l’intérêt des CBDC, dans la continuité du mouvement mondial.
En effet, comme nous avions pu l’évoquer dans de précédents articles, cela fait maintenant quelques mois que les attentions sont braquées sur les banques centrales à travers le monde, qui, soucieuses de penser l’avenir du système monétaire fortement menacé, souhaitent évaluer l’opportunité de lancer elles-mêmes des monnaies numériques.
Ces travaux d’initialisation sur le yen numérique devaient initialement se concentrer sur l’examen d’une CBDC de détail, les problématiques juridiques et la faisabilité d’un tel projet. En début d’année 2020, la BOJ (Banque centrale du Japon) s’était en effet jointe à un groupe de travail composé de cinq autres banques centrales : Canada, Europe, Suède et Suisse, ainsi qu’à la banque des règlements internationaux (BRI) afin de mettre en commun les recherches sur les CBDC. Ce projet baptisé stella, lancé en 2016 est un projet de recherche conjoint de la BCE et la BOJ et contribue au débat mondial autour des CBDC via des travaux expérimentaux et des études explorant l’opportunité et les défis de la blockchain pour les banques centrales. Ces travaux ont d’ailleurs donné lieu à différents rapports permettant d’avancer sur les réflexions.
Contrairement à la Suède par exemple, le Japon ne souffre pas d’une dépossession de l’argent liquide. La réalité est plutôt que 4 paiements sur 5 se font encore en cash, cependant il existe de multiples applications de paiement numérique, les japonais ayant toujours été historiquement à la pointe dans le numérique. C’est face à ce constat que le gouverneur adjoint de la BOJ, Masayoshi Amamiya, a expliqué qu’au Japon, une CBDC pourrait potentiellement jouer un rôle dans l’interopérabilité entre l’éventail croissant de fournisseurs de services de paiement du Japon. Par exemple, le plus grand groupe bancaire japonais, MUFG, a déclaré dans le même temps qu’il lancerait sa monnaie numérique et sa solution de paiement dans le courant de l’année. Outre la monnaie MUFG, Mizuho a lancé le J-Coin avec 60 banques. En outre, il y a PayPay de Softbank, MoneyTap de SBI pour les paiements interbancaires, l’application de chat Line Pay et Rakuten Pay. Sans compter les applications étrangères telles que Google Pay, Apple Pay, Alipay et autres, le catalogue est grand.
Dans ce cadre, le 2 juillet 2020, la Banque du Japon a publié un rapport intitulé “Technological Challenges for Central Bank Digital Currencies to Function as Cash Equivalents“, qui peut être considéré comme l’un des principaux points de vue sur la recherche et le développement de la CBDC nippone.
Plus tard, en octobre de la même année, la BOJ a publié un rapport indiquant son souhait de lancer des expérimentations sur le lancement d’une CBDC courant 2021, dans un premier temps à travers un PoC. La Banque du Japon estime qu’il est possible que la demande du public pour une CBDC augmente fortement, compte tenu du développement rapide de l’innovation technologique, et a ainsi publié un rapport intitulé “The Bank of Japan’s Approach to Central Bank Digital Currency” dans lequel elle y décrit les conditions de faisabilité d’un tel projet.
Il faut dire que le Japon ne souhaite pas se précipiter, et avec la rigueur et le minimalisme qui les caractérise, souhaite tirer partie de l’ensemble des tests qui sont fait à travers le monde. Si certains pourraient penser qu’accuser un retard de 6 ans par rapport à la Chine ne les place pas dans le peloton de tête, ils répondent à l’inverse que :
« L’avantage du premier arrivé est quelque chose dont nous devrions avoir peur », indique ainsi le Vice-ministre des Finances pour les affaires internationales du Japon. Si cette sortie réaffirme le souhait des autorités de ne pas subir à terme la domination du yuan numérique, cet avis n’est pas partagé par la Banque Centrale du Japon, qui, elle, comme nous le voyons souhaite au contraire avancé et pense profondément qu’une monnaie numérique unique ne peut pas dominer le monde aujourd’hui.
Une étude de faisabilité lancée en 2021 pour expérimenter une CBDC
Le gouverneur de la Banque du Japon, Haruhiko Kuroda, a souligné il y a quelques jours la nécessité pour la banque centrale de se “préparer minutieusement” au moment où elle pourrait avoir besoin d’émettre sa propre monnaie numérique, dans le cadre des projets de recherche lancés sur les CBDC.
Le gouverneur a annoncé le planning prévisionnel des expérimentations qui seront lancées :
- La BOJ commencera les expérimentations sur une CBDC à partir du printemps 2021 afin de rester dans la course aux CBDC, déjà bien engagée à travers le globe
« Dans l’optique de garantir la stabilité et l’efficacité de l’ensemble des systèmes de paiement et de règlement, il est important de se préparer minutieusement à répondre de manière appropriée aux changements de circonstances »
Haruhiko Kuroda
- La banque centrale a déclaré qu’elle mènerait une première phase d’expériences sur les fonctions de base de la CBDC, telles que l’émission et la distribution, au début de l’année fiscale qui commence en avril.
Dans le cadre des expérimentations lancées, la priorité est d’abord donnée à l’étude de faisabilité technique des fonctions et caractéristiques essentielles d’une CBDC à travers un premier PoC.
Pour cette première phase, la BOJ développera un environnement de test pour le système CBDC, y compris des expériences sur ses étapes d’émission, de distribution et de rachat. Dans la phase suivante, elle mettra en œuvre des fonctions supplémentaires et les testera également.
Dans le cadre de ces expériences, la BOJ coopérera également avec d’autres banques centrales et coordonnera son action avec d’autres parties prenantes telles que les banques commerciales, les prestataires de services de paiement, les experts juridiques, les spécialistes informatiques et les autorités publiques.
Dans le document rendu récemment, la banque centrale nippone a également souligné les caractéristiques essentielles qui étaient attendues d’une potentielle CBDC, et notamment :
- la sécurité
- l’accès universel
- la résilience
- la capacité de paiement instantané
- l’interopérabilité
A noter que la relation d’une CBDC avec les prix et la stabilité financière, sa promotion de l’innovation, sa gestion des relations avec les paiements transfrontaliers et sa gestion de la vie privée et des données personnelles doivent être prises en compte d’après le rapport.
Si la BOJ continue de garder le mystère sur le lancement effectif d’une CBDC, elle a toutefois intégré dès juillet 2020 un yen numérique dans son plan économique officiel.
Le Japon, terre de blockchain ?
Au-delà des projets liés au lancement d’une CBDC, le Japon a toujours été à la pointe technologique et ce, depuis des décennies. C’est donc tout naturellement qu’ils sont positionnés depuis quelques années déjà sur différents projets liés à la blockchain et aux cryptomonnaies. Regardons de plus près.
Tout d’abord, Rakuten, le géant du e-commerce japonais, qui mène depuis 2016 des projets autour de la blockchain a lancé en 2019 un exchange crypto, puis un Rakuten Wallet afin de convertir ses points en Bitcoin, Ether ou Bitcoin Cash.
Plus récemment, Rakuten permet aux utilisateurs cryptos d’utiliser son service Rakuten Pay pour charger du Rakuten Cash.
Les utilisateurs du Rakuten App peuvent charger ce dernier avec du Bitcoin (BTC), de l’Ether (ETH) ou du Bitcoin Cash (BCH), afin d’acheter des articles chez Familymart, Mcdonald’s, 7-11, et Mister Donut.
Les utilisateurs cryptos peuvent également recharger en cryptomonnaies via la fonction Rakuten Cash-buying. Même si Ripple est une des crypto favorite des japonais, elle n’est pas encore à la carte de Rakuten, mais qui sait!
Regardons maintenant du côté du gaming avec le projet EnjinCoin qui a fait s’enflammer les bourses.
Enjin Coin (ENJ) est un projet de la société Enjin qui fournit un écosystème de jeu interconnecté et basé sur la blockchain et permet aux développeurs de tokeniser des objets dans un jeu. Suite à une ICO de 18,9 millions de dollars en 2017, Enjin a commencé à concevoir une gamme de produits, permettant de créer, de gérer, d’échanger, de stocker, d’explorer, de distribuer, et d’intégrer, facilement des actifs sur blockchain.
Enfin, une cryptomonnaie a été créée pour la communauté des joueurs, des développeurs de jeux et des créateurs de contenu afin d’échanger les tokens ENJ contre les marchandises virtuelles. Enjin Coin est sans doute la plus grande cryptomonnaie destinée à acheter et échanger des jeux et des objets numériques, une première dans le monde du gaming !
Pour l’anecdote, en Janvier 2021, lorsqu’a été officialisée l’introduction d’ENJ comme token officiel pour les jeux au Japon, le cours du token a explosé de +71%. Depuis cette date, le token de gaming peut maintenant être tradé et rejoindra bientôt d’autres cryptos sur Coincheck.
Plus récemment, Labs Group, la société immobilière basée sur la blockchain a intégré Enjin pour émettre des NFT afin de tokeniser des propriétés immobilières.
Grâce à ce partenariat entre Enjin et Labs Group, les clients pourront acheter des biens immobiliers fractionnés à partir de 100 USD.
Si le Japon est aujourd’hui un acteur incontournable du monde de la blockchain et des cryptomonnaies, parviendra-t-il à se faire une place dans le boom des CBDC ?
Retrouver l’article original de Karen Jouve ici: Lien Source