Le NFT (Non-fungible Token) : un OVNI juridique ?

Les jetons non fongibles ou « NFT » pour « Non-Fungible Tokens » font l’objet d’un engouement croissant. Tentative de qualification juridique du point de vue du droit français.

NFT et notions de propriété

Un NFT agit comme un certificat de propriété unique, enregistré dans une blockchain, pouvant porter sur une multitude d’éléments du monde réel comme digital (œuvre d’art, bien immobilier, tweet, etc.). Il est couramment accompagné d’informations clés sur le propriétaire de l’œuvre, son auteur, ainsi que ses détails techniques. Bien que l’œuvre puisse être copiée, un seul NFT valide par œuvre est émis, permettant à son détenteur de revendiquer sa propriété.

Juridiquement, un NFT peut donc être défini comme un bien meuble incorporel non fongible représentant, sous forme numérique, un droit de propriété sur une œuvre physique ou digitale, ce bien pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé (autrement dit, une Blockchain) permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire de l’œuvre.

Cette innovation s’inscrit dans un courant bien établi porté dans les années 1960 et 1970 par des artistes comme Robert Barry ou Sol Lewitt qui soutenaient que l’idée et le concept sous-tendant une œuvre d’art primaient sur sa réalisation matérielle.

Les NFT : un engouement sans précédent.

Le 11 mars 2021 la célèbre maison de vente aux enchères Christie’s a mis en vente un NFT représentant la propriété d’une œuvre d’art numérique (c’est à dire n’ayant pas d’existence physique et prenant la forme d’un simple fichier jpeg) composée d’une série de 5.000 images numériques réalisés par l’article Beeple, alias Mike Winkelmann, le produit de la vente ayant atteint un montant record de 69,3 millions de dollars.

Beeple | The First 5000 DaysBeeple | The First 5000 Days

Dans cette continuité, le 22 mars 2021 le cofondateur de Twitter, Jack Dorsey, a mis en vente un NFT de son premier tweet pour 2,9 millions de dollars.

Des projets français d’envergure

Porté par une équipe dotée d’une expérience reconnue dans le monde de l’art, le projet Danae illustre parfaitement l’essor des projets NFT en France. « Nous envisageons de déployer rapidement notre galerie d’art virtuelle afin d’exposer, de promouvoir et de commercialiser des NFT portant sur des œuvres d’art de différents artistes » indique Laetitia Maffei, la cofondatrice du projet. En développant l’une des premières galeries d’art 2.0. en France, ce projet vise à permettre à ses clients d’acquérir des NFT via une expérience immersive permise grâce notamment à la technologie de réalité augmentée et de réalité virtuelle.

Face à cet intérêt croissant, des questions subsistent quant à la qualification juridique de ces instruments et le régime juridique applicable.

Des instruments assimilables aux titres financiers ?

En droit français, les titres financiers incluent :

  • les titres de capital émis par les sociétés par actions,
  • les titres de créance,
  • les parts ou actions d’organismes de placement collectif (OPC).

La réglementation applicable à l’émission de titres financiers et leur négociation pouvant constituer un véritable frein pour les porteurs de projet NFT, ces derniers ne pourront donc faire l’économie d’une analyse juridique afin de vérifier si les caractéristiques de ces instruments ne sont pas assimilables aux attributs des titres financiers : droits politiques (par exemple l’accès aux assemblées générales), droits financiers (comme l’accès au capital, aux dividendes et/ou au boni de liquidation), notion d’incorporation d’une créance de somme d’argent (avec l’idée d’un remboursement, l’existence d’un intérêt), etc.

En outre, la qualification d’OPC par objet pourrait trouver à s’appliquer dans le cas où l’émetteur des NFT lèverait des capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs en vue de les investir dans des œuvres, conformément à une politique d’investissement définie, dans l’intérêt de ces derniers.

Quid des intermédiaires en biens divers ?

Exclusif de celui applicable aux titres financiers, les porteurs de projet NFT devront également s’interroger sur l’application du régime des intermédiaires en biens divers (IBD) applicable à toute personne qui :

  • 1/ directement ou indirectement, par voie de communication à caractère promotionnel ou de démarchage, propose à titre habituel d’acquérir des droits sur des biens mobiliers ou immobiliers lorsque les acquéreurs n’en assurent pas eux-mêmes la gestion ou lorsque le contrat leur offre une faculté de reprise ou d’échange et la revalorisation du capital investi ;
  • 2/ propose d’acquérir des droits sur un ou plusieurs biens en mettant en avant la possibilité d’un rendement financier direct ou indirect.

Les NFT assimilables à des jetons utilitaires ?

Enfin, les porteurs de projet NFT devront nécessairement mener une analyse in concreto concernant la qualification d’actifs numériques, et plus précisément de jeton des instruments qu’ils envisagent d’émettre.

En effet, au sens du Code monétaire et financier constitue un jeton « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».

Les NFT, qui sont des biens incorporels représentant communément, sous forme numérique, un ou plusieurs droits (c’est à dire un droit de propriété sur une œuvre) pouvant être enregistrés et échangés via une blockchain et permettant d’identifier leur(s) propriétaire(s) pourraient, sous certaines conditions, être concernés par cette catégorie.

A ce titre, les émetteurs de NFT devront veiller, en cas d’offre au public de ces NFT ou de prestations de services portant sur ces derniers, se soumettre à la réglementation y afférente.

Au regard des spécificités des projets NFT actuels, la qualification de jetons utilitaires et les obligations en découlant semblent les plus à même de trouver à s’appliquer. En tout état de cause, « la phase de structuration juridique, en amont de ces projets novateurs, demeure capital afin qu’ils s’inscrivent dans une démarche de sécurité juridique propice à leur développement sur le long terme » rappelle Laetitia Maffei.

A propos des auteurs : Daniel Arroche et Stéphane Daniel sont avocats au Barreau de Paris. Ils accompagnent depuis 2016 particuliers et entreprises dans leurs problématiques juridiques entourant la blockchain et les crypto-actifs.

Avertissement : Cet article est publié à des fins éducatives et informatives uniquement et n’est pas destiné et ne doit pas être interprété comme un conseil juridique.

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