Pascal Gauthier n’est pas du genre à s’emballer. Pas son style. Mais, en ce mois de juin, le patron de Ledger ne peut s’empêcher d’afficher un large sourire. Après quelques semaines d’intenses négociations avec une kyrielle d’investisseurs, il vient de boucler un nouveau tour de table, tout simplement… incroyable. La start-up, spécialisée dans la conservation et la gestion de cryptoactifs, a levé 380 millions de dollars, presque un record pour une jeune pousse française – seul Contentsquare a fait mieux (500 millions de dollars). Une performance d’autant plus impressionnante que Ledger, désormais valorisée un peu plus de 1,5 milliard de dollars, a attiré des investisseurs de renom, comme le PDG de LVMH, Bernard Arnault et sa holding familiale Financière Agache.
Mais, pour le patron de la start-up de 360 salariés, qui table sur 250 embauches d’ici à la fin de l’année, l’essentiel reste toutefois ailleurs. « Outre le statut et la visibilité que cette levée de fonds nous donne, le but reste toujours le même : se développer, explique le quadra. Et, je l’ai déjà dit aux équipes, il y a encore beaucoup de travail. » Car Ledger, qui est déjà rentable, ne voit pas les choses en petit. Devenue assez vite le leader mondial du stockage de cryptoactifs grâce à ses Nano (Nano S et X), des petites clefs USB ultra-sécurisées, déjà écoulées à plus de 3 millions d’exemplaires sur la planète, la société basée entre Paris et Vierzon (Cher) veut investir massivement pour augmenter ses ventes, notamment en Asie et aux Etats-Unis, et surtout aller au-delà du secteur des cryptomonnaies.
Un marché potentiellement gigantesque
Jusqu’à présent, Ledger ne s’est, en effet, occupé que de la sécurisation et de la gestion de cryptoactifs avec ses portefeuilles numériques; en commençant par le bitcoin, avant de l’élargir à d’autres actifs, comme l’ether ou le litecoin. Aujourd’hui, il y en a des dizaines. Puis elle a lancé un dispositif, beaucoup plus vaste, Ledger Vault, à destination des entreprises. Et, depuis 2018, elle permet d’acheter, de vendre et d’échanger des cryptoactifs, directement via son logiciel Ledger Live, implanté dans tous ses portefeuilles. « Ils ont monté le premier étage de la fusée, et, maintenant, ils construisent le deuxième », souligne Antoine Dresch, cofondateur de Korelya Capital, qui a investi dans la start-up.
La blockchain va permettre aux gens de posséder directement leurs actifs et de les échanger eux-mêmes sans passer par des intermédiaires
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Le deuxième étage ? C’est celui lié à la vague de la blockchain qui a très largement débordé le cadre du bitcoin. Grâce aux nouvelles technologies, tous les actifs sont en train d’être digitalisés, ayant leur propre existence sur la Toile. On l’a vu récemment avec les NFT, ces oeuvres d’art numériques inscrites dans la blockchain. C’est aussi le cas des actions d’entreprises, des émissions de dettes ou même de certains titres de propriété dans l’immobilier qui ont besoin d’être sécurisés. « Nous assistons à un vrai bouleversement. Jusqu’à présent, toute la vie numérique appartenait à des tiers – à Google, à Facebook, aux banques… La blockchain va permettre aux gens de posséder directement leurs actifs et de les échanger eux-mêmes sans passer par des intermédiaires », indique Pascal Gauthier, qui compte bien profiter de cette nouvelle donne. « Le génie est sorti de la bouteille, il n’y rentrera plus jamais », veut croire un bon connaisseur du secteur.
Pascal Gauthier en est aussi convaincu : Ledger peut devenir l’outil qui permettra de stocker dans les années qui viennent tous les actifs numériques. « On veut réinventer le portefeuille comme Apple a réinventé le téléphone », confie le patron. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la start-up, qui dispose d’une gigantesque usine d’assemblage à Vierzon, vient d’accueillir dans ses rangs l’ancien responsable d’Apple Music, Ian Rogers, qui va gérer tout le développement des produits et du marketing de la société; l’objectif est simple : faire autant d’étincelles chez Ledger qu’il en a fait chez le géant à la pomme croquée.
Les perspectives de la start-up sont très ambitieuses. Quand le marché des cryptomonnaies pèse un peu plus de 1 500 milliards de dollars, celui des actions vaut, lui, plus de 100 000 milliards de dollars. Et c’est sans compter les autres actifs, comme l’immobilier ! Selon les estimations, le marché global des actifs susceptibles d’être « blockchainisés » dépasse les 300 000 milliards de dollars.
Ledger n’est d’ailleurs pas la seule à avoir identifié la lame de fond. Outre quelques acteurs comme le tchèque Trezor, lui aussi issu de l’univers crypto, plusieurs géants de l’économie « traditionnelle » veulent se lancer sur le créneau. La société de paiement en ligne Square, évaluée 100 milliards de dollars à Wall Street, veut promouvoir un portefeuille numérique. Une situation qui n’inquiète pas plus que cela Pascal Gauthier : « Ce n’est pas simple de faire des produits comme les nôtres », glisse-t-il, en rappelant que Ledger visait d’ici à cinq ans une capitalisation de… 100 milliards de dollars. Une licorne puissance 100 !
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