Les NFTs face à la loi, enjeux et visions d’après l’avocat spécialisé Matthieu Quiniou

Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ? 

Je m’appelle Matthieu Quiniou, je suis avocat au barreau de Paris et je me suis spécialisé sur les questions de blockchains et d’I.A. Je suis également enseignant-chercheur rattaché à l’université Paris VIII en sciences des informations et de la communication. Je suis l’auteur de plusieurs ouvrages concernant la blockchain (Blockchain – L’avènement de la désintermédiation, éditions ISTE / Wiley, 2019 et Investir et se financer avec la blockchain, le guide des ICO, éditions ENI, 2018) . Globalement, je nourris un intérêt particulier pour les sujets de désintermédiation, d’anonymisation et de création de rareté numérique. Enfin, je suis amateur d’art et de jeux videos, d’où mon goût assez spontané pour le secteur  des NFT.

Quelle est ta vision d’homme de droit sur l’écosystème des NFTs ? 

En réalité, je supporte un positionnement double. Tout d’abord à travers mes activités de recherche, j’essaie de comprendre les évolutions culturelles et d’usage dans le numérique et les mutations sociales, économiques et juridiques associées. À ce titre, j’apprécie particulièrement observer l’établissement de l’écosystème du crypto art. Je travaille notamment avec l’UNESCO à travers la Chaire UNESCO ITENsur les sujets des NFTs où l’on s’intéresse à la mutation des paradigmes culturels dans le numérique et aux nouvelles médiations. Je remarque par ailleurs et à ce titre que l’engouement sur les NFTs dans un cadre institutionnel a énormément  évolué, et cela dans le bon sens. Ensuite, dans le cadre de mon activité d’avocat, je me suis positionné comme un explorateur des zones d’ombres de la loi face à l’émergence de nouvelles pratiques, tout particulièrement en ce moment sur les NFTs. Je pense qu’il est nécessaire de permettre aux artistes, et notamment ceux qui n’ont pas les moyens de payer des honoraires de cabinets d’avocats, de disposer d’outils paramétrables pour le déploiement de leur art dans un écosystème qui leur est inconnu et qui peut leur paraître même hostile car incompris. Plus spécifiquement, j’essaye de pointer du doigt, et donc de mettre un cadre légale malgré l’aspect parfois « jungle » de notre écosystème NFT, que cela soit au niveau des CGV des plateformes, de la gestion délicate de la propriété intellectuelle, de la limite assez fine dans certaines opérations NFTs avec le security token… comme on peut aisément l’imaginer, les problématiques sont assez nombreuses finalement quand on veut créer une expérience parfaitement respectueuse de la loi et conforme aux usages du secteur. 

As-tu constaté une évolution réglementaire favorable au développement d’une industrie NFT en France ?

Au niveau parlementaire, on assiste à plusieurs questionnements concernant la blockchain, mais très majoritairement cela relève du domaine fiscal. En France, on s’appuie énormément sur la législation des ICO, du PSAN et de la loi PACTE pour qualifier les crypto et les différents types de jetons. Il reste cependant une zone d’ombre très vaste sur des thématiques qui touchent directement les NFTs comme la propriété immatérielle et la propriété intellectuelle par exemple. En effet, le NFT constitue ce que l’on pourrait définir comme une appropriation immatérielle sans titre, ce qui est absolument inconcevable dans une industrie classique, car cela nécessite réglementairement une preuve tangible. Je dirais que l’engouement de ces derniers mois sur les cryptomonnaies favorise les questionnements, mais il reste encore beaucoup de thématiques à aborder pour construire un cadre solide pour le développement des acteurs du NFT dans notre pays. Je pense que la question particulière de la propriété intellectuelle relative aux NFTs doit notamment être abordée différemment que d’ordinaire. La France est réputée comme pionnière sur les questions de propriété intellectuelle, mais aujourd’hui les NFTs nécessitent d’avoir une approche plurilatérale de la rédaction législative, notamment en raison de l’émergence d’une possession immatérielle opératoire grâce à la blockchain. 

Penses tu que l’absence d’un cadre légal réglementaire précis sur les NFTs va ralentir le développement de cette industrie ?

Comme je l’ai dit précédemment, la France est réputée pionnière en ce qui concerne la propriété intellectuelle. La loi doit naturellement évoluer au gré des mutations technologiques et sociales, cependant c’est plus délicat que ce que l’on pourrait l’imaginer à première vue. Les NFTs, et plus généralement la blockchain, remettent assez fortement en cause les sociétés de gestions collectives par exemple. Ces structures ont souvent un champ d’action quasi exclusif. Ainsi, et dans la continuité de cet exemple, les artistes rattachés à ces sociétés de gestion doivent adopter une approche de composition avec ces structures, ce qui est assez contre intuitif finalement car le principe même des NFTs est la suppression de l’intermédiaire au profit du P2P. La loi doit selon moi favoriser la croissance de notre écosystème NFT, mais pour cela, il y a une nécessité de prendre des décisions et de formaliser les pratiques relatives aux NFTs. Je pense que nos entreprises et leurs représentants comme la Fédération Française des Professionnels de la Blockchain ont un rôle déterminant dans l’évolution législative. Il ne faut pas oublier que Sorare, notre dernière licorne incarne totalement ces questionnements nouveaux que cela soit au niveau de la propriété intellectuelle, la possession immatérielle, etc.. Cependant, je pense qu’il faut poser sur la loi un regard mature de l’écosystème des NFTs ce qui est particulièrement délicat dans la mesure où celui-ci est en pleine éclosion; il est tout à fait défendable selon moi que de soutenir l’idée qu’il faut d’abord attendre de voir quelle tournure l’industrie des NFTs prend avec de réguler. D’autant plus, que les NFTs sont parfois intrinsèquement liés à des processus de financiarisation très complexes comme des protocoles de DeFi ce qui ne facilite pas spécialement la rédaction cohérente pour le législateur. 

D’après toi, que manque t-il concrètement aux NFTs d’un point de vue légal ? 

D’un point de vue international, il faut selon moi plus de conscience, plus de confiance, et enfin plus de substance. La confiance n’est pas requise lorsque l’on dispose de preuves indéniables (certificats d’authenticité, KYC, etc…). Ces éléments de preuves doivent être intégrés intelligemment dans les NFTs afin que ceux-ci ne soient pas remis en cause. Aujourd’hui, il n’y a pas encore eu d’annulation de vente d’un NFT, mais nul doute que cela finira par arriver, et vu les sommes parfois en jeu, cela risque de potentiellement poser de gros soucis pour les différentes parties à la transaction. Des acteurs conventionnels du droit tels que des commissaires priseurs sont, je pense, des acteurs adaptés pour accompagner dans notre écosystème. Il serait très intéressant que ces derniers puissent émettre des NFTs, mais encore une fois, cela relève de la législation qui se dessine délicatement. En France, des normes sont en discussion pour  permettre prochainement aux commissaires priseurs de certifier des ventes de biens uniquement numériques, ce qui est actuellement impossible, sauf à les associer avec des biens matériels. Je pense que c’est un bon exemple de coopération entre les acteurs conventionnels du droit et l’écosystème NFT pour définir un environnement plus sûr pour les vendeurs et les acheteurs dans certains contextes, notamment dans les cas où la suppression de l’intermédiaire n’est pas le but premier de l’usage des NFTs. 

Les NFTs et leur explosion ont-ils favorisé une prise de conscience et de positionnement au sein des métiers du droit ? 

C’est toujours un peu bizarre pour moi de parler de l’évolution du métier puisque j’ai l’impression d’être en plein dedans. Cependant, oui, définitivement. L’écosystème NFT pousse à la mutation mais les métiers du droit sont des métiers dont la mutation est très complexe car ils concernent directement la loi, pilier de la démocratie. Je pense que la blockchain, bien au-delà du champ des NFTs, permet l’évolution de nombreux aspects juridiques. Réciproquement, l’écosystème NFT a besoin de personnes compétentes sur ces sujets afin de poser des fondations légalement solides pour les projets pionniers. Je pense que les travaux de juriste ont une place forte pour l’accompagnement des acteurs de la blockchain. On relève de plus en plus de cabinets d’ailleurs, qui étendent leurs champs d’expertise à ces sujets. Encore une fois, bien au delà des NFTs, des innovations comme les CBDC sont particulièrement intéressantes pour l’automatisation de certains aspects judiciaires ou l’exécution automatique de décisions de justice notamment dans des contrats internationaux. Mais tout cela ne sera réellement possible que si des profils à compétence double apparaissent à la croisée du droit et de l’informatique et capables d’accompagner la création de smart contracts et de contrats associés performants.. Enfin, et pour finir en revenant sur le sujet principal des NFTs, on parle énormément des NFTs comme garant des droits de suite, mais dans les faits, la technologie ne supporte pas encore efficacement ce principe. Quand le smart contract répondra efficacement et légalement au contrat, alors oui, les choses deviendront très intéressantes. Nos métiers du droit évoluent avec l’émergence des NFTs, c’est sur et certain, et de nouveaux profils permettent de favoriser et d’accélérer cette évolution. 

Ainsi, le droit n’est pas exclu de la fête des NFTs, et tend à se positionner comme un pilier de la pérennité et de la sécurité de ces derniers. Les mentalités évoluent, les métiers également, et le contexte explosif actuel des NFTs promet vraisemblablement de nombreux questionnements légaux à venir. 

Retrouver l’article original de Jordan Tarlet ici: Lien Source

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