C’est une redoutable épreuve pour moi de rendre compte de ce volume, aimablement adressé par la maison Dunod qui a été mon propre éditeur, préfacé par Jean-Jacques Quisquater dont l’amitié m’honore et qui a également préfacé un ouvrage dont j’étais co-auteur et enfin écrit par un universitaire français qui cite deux de mes ouvrages parmi ses 26 références pour aller plus loin .
En regard, Jean-Paul Delahaye représente pour une partie des bitcoineurs (et en tout cas pour ceux que l’on décrit comme maximalistes) un effroyable prototype de Judas, ce qui lui a valu, à partir de 2018, d’être accablé d’injures par les éléments les plus toxiques de notre communauté. Je l’avais déploré et avais approuvé l’Appel pour un débat serein et constructif autour du Bitcoin lancé par deux mathématiciens de mes amis.
Jean-Paul Delahaye est venu à trois Repas du Coin (en 2015 et 2017), il a participé en mai 2017 à Bitcoin Pluribus Impar rue d’Um et à un meeet-up du Cercle du Coin quelques mois plus tard. Nous lui avons toujours tendu la main, et encore durant le confinement en avril 2020, l’avons invité à participer à une visioconférence avec nous (voir en bas de page).
J’ai donc lu son ouvrage avec un niveau raisonnable de bienveillance. Il m’a semblé nécessaire de le lire intégralement, sans céder à la joie mauvaise consistant à bondir sur les chapitres nourrissant la polémique énergétique , pour comprendre autant que possible le chemin suivi et le paysage mental de l’auteur.
Jean-Paul Delahaye commence fort honnêtement par le confesser : Dans un premier temps, séduit et fasciné, j’ai défendu le Bitcoin .
Il rappelle ses publications dont les bitcoineurs se souviennent aussi. Le site de référence Bitcoin.fr recense toutes les publications de Jean-Paul Delahaye sur Bitcoin permettant a chacun de constater l’évolution de sa réflexion.
Il estime que sa principale contribution a été le lien décrit entre la robustesse du protocole et le contenu en calcul de son jeton. Cette notion, qui était au centre de ses travaux théoriques, était d’ailleurs présentée dans notre propre livre, Bitcoin la monnaie acéphale avec un lien QR Code renvoyant à ces travaux.
Dans son dernier ouvrage en date, il semble vouloir faire part de doutes qu’il éprouve depuis 2014 au moins et de son étonnement de voir un Bitcoin qu’il considère maintenant comme le Minitel des Cryptomonnaies continuer de résister au lieu de rejoindre le Musée de l’Informatique. Nul ne lui contesterait le droit de sincèrement douter et de s’étonner… s’il ne s’agissait bien que de cela.
Ce qui peut paraître moins acceptable, c’est d’abord que selon lui le paradoxe de la survie de Bitcoin ne peut se résoudre que par deux facteurs, savoir :
l’influence de la spéculation qui serait un frein au progrès des technologies thèse dont on peut historiquement douter ;
et le poids d’un lobby de gens intéressés (qui) monopolise la parole sur le sujet et en présente une vue biaisée .
Il me semble qu’il a suffisamment et assez longtemps fréquenté le lobby français pour se rendre compte du ridicule de ce propos. Mais chacun est assez bon juge pour voir que la parole publique et médiatique sur Bitcoin, loin d’être abandonnée à un lobby ou plus simplement à des spécialistes capables d‘expliquer la chose, est systématiquement organisée sous forme de débats et donc toujours envahie d’adversaires venus de tous bords, à commencer par des banquiers centraux ou non (pas moins intéressés au débat qu’un honnête hodler) pour finir par des politiques en mal de causes faciles (car taper sur le banquier assis à côté d’eux serait socialement plus risqué).
Toujours en matière de lobby, Jean-Paul Delahaye devrait plutôt se demander ce qui a expliqué durant tant d’années l’improbable survie du Minitel tricolore… Enfin, une petite introspection lui serait utile pour savoir si c’est Bitcoin qui s’est figé ou, depuis quelques temps, l’état de son information. Ceux qui étaient en ce mois de septembre à la Conférence qui s’est tenue aux Açores en sont revenus avec le sentiment d’un monde qui bouge, entreprend et se développe, notamment et contrairement à ce qui se répète ad nauseam, en direction des usages de paiement.
Jean-Paul Delahaye brûle aujourd’hui ce qu’il a adoré il y a peu. Et comme c’est toujours un moment délicat dans la vie d’un homme, il le fait aussi brutalement que possible. Dès son introduction il attribue ce qui à ses yeux est le vice fondamental de Bitcoin à une… erreur.
Aucune dépense d’électricité importante n’est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement d’une blockchain ; c’est par erreur qu’un élément du protocole Bitcoin, appelé Preuve de travail a conduit le réseau Bitcoin a être follement et inutilement énergivore.
De nombreuses pages sont ensuite essentiellement destinées à présenter au public le moins informé la technologie blockchain et ses mirifiques applications, depuis la logistique jusqu’à la monnaie de gros des banques. C’est présenté sans critique, sans distance, sans soupçon, sans réserve et donc sans humour (on pourrait… sur la blockchain Madre dont plus personne ne parle ou la blockchain traquer les œufs frais !).
Rien à dire : depuis 2015 on connait par cœur ce keynote.
Il entre de-ci de-là une petite dose de mauvaise foi (ou de deux poids deux mesures ) par exemple quand l’auteur écrit que la décentralisation du consensus peut être inégalitaire et illusoire en PoW, sans regarder ce qu’il en est dans les alternatives.
Sans surprise, je n’ai pas repéré d’erreurs techniques dans les exposés que l’auteur fait des divers éléments de ces assemblages technologiques que sont Bitcoin et les autres protocoles décentralisés, mais peut-être n’en aurais-je pas la capacité. J’ai eu un ou deux doutes, notamment quant à ce qu’il dit sur la dissociation de facto des tâches de minage et de validation, mais cela ne mérite pas d’alourdir ce compte-rendu.
L’essentiel est que j’ai eu l’impression à le lire (et toujours en lui faisant crédit de sa bonne foi) qu’il jette sur cela un regard qui se veut purement technique : se servir comme exemple de la blockchain interbancaire pour montrer que l’on peut se passer de jeton précieux est sidérant : ce n’est simplement pas une blockchain. Que ses utilisateurs le prétendent ou que les développeurs qui la leur ont vendue leur aient fait croire est une chose ; toute personne désintéressée voit trop bien que la chose est pourtant à une blockchain ce qu’un talkie-walkie est à la radio, ce qu’un club de gentleman est à un parti politique, ce qu’un cartel est à un marché.
L’auteur, de son côté, voit bien que l’appréciation du jeton a permis de rémunérer ce qu’il appelle les acteurs généraux dont les développeurs ; mais il ne semble pas voir que cela a aussi financé tout l’écosystème, y compris certaines des blockchains qui sont venues concurrencer, challenger ou compléter Bitcoin. Le simple fait que l’attribution initiale de jetons lui paraisse élégante quand il n’y a pas d‘abus montre bien que le fossé entre l’auteur et les valeurs de la communauté est très profond et qu’il n’est pas seulement technique. Quant aux abus le MIT lui-même estimait les simples escroqueries à un cas sur 4…
Mais derrière la posture purement technique, il n’est pas difficile de déceler des postulats politiques.
Je ne crois pas être suspect d’allégeance à l’école autrichienne et je ne suis même pas insensible à certains arguments de l’auteur, par exemple quand il dit que même si l’inflation disparaissait par l’adoption massive de cryptomonnaies déflationnaires, l’État irait chercher ailleurs sous une autre forme d’impôt les ressources qui lui auront été retirées et je suis d’accord avec lui pour dire que les États ont la force de la loi de leur côté, la police et l’armée . Pour autant je trouve stupéfiante (et significative) une certaine désinvolture utilisée pour refuser le débat :
Finalement, le rêve libertarien d’un Bitcoin remplaçant le dollar et l’euro a tout d’une niaiserie d’adolescent mal informé des réalités du monde.
Comme avec l‘erreur de Satoshi (il semble penser que le halving constitue une seconde erreur, d’ailleurs) ce mot d‘adolescent signe ce qu’il faut bien décrire comme une morgue professorale (symétriquement, j’avais souligné dans un compte-rendu le caractère déplacé de certaines attaques du Pr. Ammous) qui n’est pas plus acceptable dans un camp que dans l’autre.
Attaquer Bitcoin, comme le fait l’auteur, en ne citant et en ne ciblant que les positions les plus outrancières des ultra-maximalistes, est-ce effectuer une critique raisonnable ? Bitcoin, monnaie sui generis et Internet-native, peut trouver dans les décennies à venir une place plus complexe à imaginer que toutes celles qu’on lui trace dans ces polémiques, depuis la peu probable monnaie universelle jusqu’à la peu crédible monnaie du crime, en passant par ce que Jean-Paul Delahaye décrit avec une posture de cathare comme un simple jeu entre les mains d’un petit nombre de spéculateurs irresponsables .
Ce qui donne de la valeur à Bitcoin n’est uniquement, pour l’auteur, qu’une confiance technique et communautaire . Ceci nous semble devoir être complété (pour parfaire la comparaison/opposition à l’euro) tant par sa rareté (sur laquelle il ne revient pas, l’ayant balayée comme une naïveté) que par le fait que son coût de production est non nul, fait contre lequel il concentre ses attaques.
Car pour lui, tout au contraire, la production du jeton est inutilement coûteuse ce qui introduit une démonstration en trois points visant à nier le lien entre coût de production et valeur. Sur ce point, d’ailleurs, il peut rejoindre ce que disent certains mineurs eux-mêmes (comme Sébastien Gouspillou avec lequel il a longuement polémiqué). Au total, fonder la solidité de Bitcoin d’abord sur l’adhésion d’une communauté ne me parait pas faux. Bitcoin est bien la monnaie librement choisie d’une communauté, et cette confiance n’est pas établie sur une population par la force de la loi et la farce de la foi. Mais cette confiance n’est pas non plus gratuite ou spontanée : elle se fonde justement sur ce que Jean-Paul Delahaye évacue : la rareté et la caractère onéreux du jeton !
Toutes les pièces du puzzle sont finalement sur la table, et au vu de tous. Les erreurs ou les absurdités dénoncées par tel ou tel peuvent souvent provenir d’une incapacité du dénonciateur lui-même à les mettre les unes avec les autres dans le bon sens.
Et puis on arrive au chapitre 6 intitulé Empreinte, hachage et concours de calcul . L’envie vous prend de le sauter (je ne l’ai pas fait) quand on se sent inclus dans ces maximalistes qui semblent prêts à soutenir d’invraissemblables arguments pour soutenir le gâchis monstre qu’il engendre . Fermez le ban ? La sentence sert d’introduction au chapitre, ce qui n’est pas bien sérieux :
L’analyse commande implacablement le rejet de la Preuve de travail — et donc du Bitcoin.
Il ne m’appartient pas dans un compte-rendu de réfuter, mais de présenter : disons que, là encore, il y a une belle efflorescence de connaissances informatiques, un grand luxe de détails pour tout ce qui est technique, et une assez flagrante absence de prise en compte de (certains) enjeux politiques. Je me suis de mon côté assez souvent exprimé là-dessus : ma pensée se résume assez bien à l‘ultima ratio regum. Ça vous fâche ? Tant mieux… Avec PoW, Bitcoin est probablement imprenable de force par les États, avec PoW il le serait plus probablement. Sans le PoW et le pseudonymat (tant décriés l’un et l’autre) ce que ministres et banquiers considèrent comme une mauvaise plaisanterie n’aurait pas duré au-delà de 2012.
On a une courte envie de glousser quand on voit l’écologiste Delahaye reprocher à la prédation que constitue la fabrication d’ASIC sur l’industrie électronique de ralentir… la production de voitures.
On sourit aussi en voyant que l’auteur calcule désormais la consommation du minage en partant du hash et non comme il le faisait jadis en partant du cours. Il valide son chiffre (44 TWh/an) en les comparant (nul n’en sera surpris) à ceux de Digiconomist (52 à 204) ou de l’étude de Cambridge (44 à 117). S’ensuivent naturellement différentes projections (x5 en 2 ans) de la même eau que celles faites dans le passé (en 2017 quand Digiconomist et Newsweek annonçaient une consommation de 100% de l‘énergie produite dans le monde à l’échéance 2020).
Quant aux arguments des défenseurs acharnés du Bitcoin l’auteur se charge de les présenter lui-même et donc de les réfuter ensuite sans trop de mal. Pour autant il ne propose pas de renvois vers les études de Michel Khazzaka ou de Arcane research. Même l’administration américaine paraît pourtant plus ouverte que lui sur la prise en considération de ce que Bitcoin apporte à la transition énergétique, il serait honnête de le mentionner.
Autre occasion de sourire : quand, pour démolir la comparaison avec l’or (j’y suis cité en note!) l’auteur explique que la quantité limitée de Bitcoin est conventionnelle et le prouve par le fait qu’on pourrait modifier le protocole de Bitcoin (comme on a pu le faire chez Ethereum) et – encore plus osé – qu’on pourrait faire un Bitcoin-2 qui serait un jumeau parfait . Ici comme partout, l’auteur joue d’autant plus facilement avec la réalité qu’il la définit à sa guise et selon ce qu’il entend prouver. Pourtant, citant mon 3ème ouvrage en note, il admet qu’il y a beaucoup de juste dans ce que j’y écris, à savoir que l’énergie considérable déployée en permanence pourrait être vue comme une sorte de bétonnage du contenu passé par le contenu le plus récent .
C’est aussi que j’avais emprunté cette idée aux travaux de mon ami Laurent Salat mais aussi… aux siens – et il ne peut le cacher. Enfin il est bien obligé d’admettre que la PoS nécessite également un continuum de la communauté et en conclut que l’avantage revient finalement à l’or (ce qu’en temps qu’historien je peux parfaitement recevoir).
En regard, si l’auteur minimise par tous les moyens la sécurité que PoW apporte à Bitcoin, s’il cite Angela Scott-Bridges sur de possibles faiblesses du LN, il ne nous dit pas grand chose de la sécurité qu’apporte PoS, plus ou moins traitée so far so good. Il est aussi à noter qu’il ne cite aucun des mathématiciens (par exemple Ricardo Perez-Marco en France) qui s’inscrivent en faux contre ses jugements.
Arrivé à la moitié du livre, on peut faire un premier point :
On a dit que Bitcoin était une monnaie de boomer ce qui est excessif mais se comprend, mutatis mutandis. Disons que c’est devenu la monnaie du grand frère plein aux as. Les petits frères, arrivés dans le game après 2014 ou 2017, voire plus récemment encore (les nouveaux convertis sont partout les plus bruyants) sont condamnés à trouver autre chose, à se faire une place,
En ce sens, M. Delahaye semble bien être le paradoxal boomer des altcoins !
Mais en réalité, s’il fait mine techniquement de s’enthousiasmer sur n’importe quel chaton capable de challenger le tigre, il reste politiquement du côté des moutons qui ne s’inquiètent ni du loup ni du berger. Cela transparait au détour d’une critique contre LN :
autant directement utiliser des systèmes centralisés. Il y en a de très robustes : vous ne rencontrez aucun problème avec les transactions demandées à votre banque, par exemple avec des virements SEPA !
Si l’on ajoute le fait que son souci de préserver la vie privée se satisfait d’un vague pseudonymat jusqu’à la contrevaleur de 1000 euros, bref son acceptation tranquille de la société de surveillance, on voit l’étendue de l’indifférence politique de Jean-Paul Delahaye.
On aborde ensuite une description de l’univers des cryptomonnaies qui est en réalité une série de notes attribuées par le Professeur sur la base d’un jugement personnel formulé le plus honnêtement possible . Sans surprise, Bitcoin n’atteint pas la moyenne (37/80) et à ce moment là on se surprend à aller directement voir la moyenne obtenue par Ethereum modèle révolutionnaire de cryptomonnaie : 47/80 en PoW, 55/80 en PoS ! Une prosternation devant Vitalik le plus jeune milliardaire du monde des cryptomonnaies dont le réseau est un véritable tour de force et un hymne aux smart contracts semblent suffire à fonder les dix points d’écart avant the Merge.
La solidité de la PoS (l’ouvrage est antérieur au changement d’Ethereum) n’est examinée que pour Cardano (noté 58/80) et cela par un argument assez peu scientifique : l’absence d’attaque (à ce jour) sur les 70 milliards de capitalisation de cette blockchain. Nulle mention, inversement, de la grande complaisance de Cardano aux exigences réglementaires, qui en ont fait pour certains une blockchain « plus proche de devenir un réseau sujet à la censure, politisé et manipulé ».
Tezos, la pépite française louée par Bruno Le Maire, seul protocole dont les promoteurs sont invités quand les banquiers centraux se sont réunis cette semaine au Louvre, ne semble nulle part mentionnée par ce mathématicien français : désintérêt ou querelle d’école, on n’en saura rien.
Les stablecoins n’obtiennent que des notes fort médiocres (parfois inférieures à celle chichement pesée à Bitcoin) ce qui permet d’enchainer : il semblerait logique et sain que ce soient les banques centrales elles-mêmes qui les émettent même si – et sur ce point on ne peut qu’approuver l’auteur – la volonté d’avancer est assez incertaine . Bref on n’y est pas !
J’avoue avoir lu en diagonale les pages sur les NFT, souri à la comparaison avec les cartes Pokemon (l’auteur a-t-il lu mon billet sur le joujou?) et baillé aux topos sur le prétendu échec de Bitcoin comme valeur refuge. Ça devient un serpent de mer, il faudra que j’y revienne moi aussi, mais disons d’ores-et-déjà que fonder l’examen de cette grande question sur l’analyse des cours comparés de l’or et du bitcoin sur l’unique journée du 24 février 2022 est une démarche de taupin myope. Le récit critique de l’utilisation de Bitcoin par les Ukrainiens (qui n’auraient guère pu s’en servir) et les oligarques russes (qui s’en seraient bien servi) fait montre de l’asymétrie systématique de l’ouvrage.
Le chapitre intitulé Rester lucide qui passe en revue toutes les faiblesses, failles, accidents possibles ou déjà survenus dans les blockchains les plus diverses peut être une salutaire lecture, même si certains risques semblent de l’ordre de l’épouvantail.et qu’à d’authentiques problèmes techniques l’auteur mêle des caractéristiques bien connues, intentionnelles, by design et des jugements émis par des personnes diverses (et généralement intéressées au système officiel) qui ne sont pas de nature à ébranler grand monde.
Mais in cauda venenum le dernier et 10ème chapitre Un choix catastrophique en ciblant la PoW ne vise qu’à demander d’interdire Bitcoin, tout de suite, avant qu’il ne brûle le monde selon les mots d’un journaliste anglais à qui son sens de la mesure a mérité l’honneur d’être mis ici en exergue.
Énumérons donc les arguments :
son coût élevé n’est qu’un argument psychologique ( ce point est étayé de comparaisons amusantes) et crée un fausse sécurité (puisqu’il faut une surveillance par la communauté).
son coût élevé handicape les protocoles qui y recourent : mais l’auteur livre involontairement un contre-argument car cela ne handicape selon lui réellement que les protocoles à smart contracts. Quoiqu’il en soit, Bitcoin n’a pas l’air d’en souffrir particulièrement (c’est d’ailleurs cela qui animé les rageux, non?).
son immoralité écologique prive les protocoles PoW de la clientèle des belles âmes et Bitcoin pourrait un jour être interdit comme les sacs plastiques dans les épiceries.
il encourage le vol d’électricité, et quand il la paye, il exerce néanmoins une ponction illégitime (autant voler, non?)
il provoque une pénurie de composants électroniques (déjà vu plus haut)
il limite le cours : j’ai lu deux fois, je n’ai pas vraiment saisi le raisonnement (voyez vous même, page 223-224 : les Chinois coupent l’électricité, donc la capi n’atteindra pas M1$ etc) qui vise à expliquer qu’avec tout ça Bitcoin ne sera jamais la monnaie unique mondiale.
il est une sorte de prison
il crée des barrières technologiques (donc il crée des prisons dorées, non?)
il rend possible le cryptojacking (c’est ma foi vrai)
il est bruyant et réchauffe l’environnement
il est moins sécurisant que la PoS (déjà dit) avec un argument d’autorité, en l’occurence celle du créateur du ZCash, qui n’ébranle pas, d’autant que sa monnaie fonctionne toujours en PoW, ou disons pas autant que le ferait quelques publications académiques. Il est amusant de voir l’auteur écarter tous les propos intéressés des bitcoineurs et leur opposer systématiquement les slogans et la réclame des entrepreneurs.
C’est tout ? Nenni, il y a les torts spécifiques à Bitcoin :
son faible nombre de transactions, qu’on ne peut dépasser qu’avec LN et donc (tenez vous bien) en renonçant à tous les avantages que procure la technologie des blockchains
le côté variable de ses commissions (pas comme celles des banques, que l’on découvre toujours après coup en page 27 de la documentation?)
l’avantage donné aux riches du fait des faibles commissions lors des moments de tension (ça me parait à démontrer, ce que ne fait pas l’auteur)
une gouvernance improvisée, liée pour partie à l’anonymat des validateurs (bref ça ne marche pas comme une bonne fondation suisse ou une vertueuse banque) ce qui est illustré ici par un épisode de Bitcoin Cash…
Épilogue : les quatre scénarios de l’Apocalypse?
On a eu un résumé dans l’article du Monde du 24 septembre (tiens le voilà!) et ce sont :
A – l’autodestruction (du moins si l’on en croit un n°2 de la BoE, certainement très compétent) pour plusieurs raisons possibles allant de la catastrophe cryptographique à l’effondrement des cours provoquant une brutale prise de conscience.
B – l’interdiction comme en Chine ; situation certainement très désirable (comme d’une manière générale l’adoption croissante de tout un tas de chinoiseries, et à laquelle ce livre propose d’ores et déjà une vaste gamme de justification)
C – la cohabitation des cryptomonnaies et des monnaies de banques centrales, bref le statu quo, avec deux variantes incorporant (C1) ou non (C2) le maintien de la dominance de Bitcoin.
D – l’abandon des monnaies de banques centrales dans une adoption de la concurrence hayekienne, avec (D1) ou sans (D2) dominance du Bitcoin.
On découvre in extremis que l’issue C2 lui parait la plus probable, sans éliminer A et B , les issues C1, D1 et D2 correspondants aux rêves des adolescents sus-mentionnés.
À présent, à vous de faire votre propre jugement . Comme l’auteur y invite, et après avoir dit que s’il fallait parier je parierai pour une situation de cohabitation, je dois ici juger non sans sévérité ce livre qui, certes, se veut destiné au grand public mais au terme duquel on reste sur sa faim compte tenu des promesses que le nom de l’auteur pouvait faire naître.
Évidemment on trouvera normal que je juge plus pertinents les écrits passés du mathématicien Jean-Paul Delahaye (cité et remercié dans mes ouvrages) que les arguments polémiques du militant expiant ses péchés de jeunesse en collaborant au sein de l’Institut Rousseau avec des auteurs comme Nicolas Dufrêne ou Jean-Michel Servet qui ont fait eux-aussi de la mise hors-jeu de Bitcoin une cause personnelle. Leur collaboration me semble fonctionner au niveau du PGCD (ici pour les nuls) qui ne peut excéder le plus petit de la série. L’économiste jugeant d’un protocole ou l’informaticien s’essayant à la psychologie de marché ne produisent pas des étincelles.
Mais j’ai une raison objective (et non intéressée) de préférer l’ancien Delahaye au nouveau : il offrait bien plus de contenu en calcul. Même si je suis flatté d’être cité, je suis un peu frustré de ne pas voir dans la liste un seul mathématicien. Même les quelques 135 notes renvoient pour l’immense majorité à des papiers polémiques, à des articles de presse et à quelques interviews de banquiers intéressés à tirer à boulet rouge. Un peu comme si je citais Michael Saylor pour étayer l’hypothèse de voir un jour le Bitcoin à 500k…
L’idée désinvolte que la PoW viendrait d’une erreur de Satoshi occulte l’hypothèse qu’il puisse s’agir d’une singularité de sa proposition, parmi les nombreuses alternatives d’alors et d’aujourd’hui, et que cette singularité s’expliquerait par une ambition radicale en terme de décentralisation en milieu ouvert.
Le fond comme la forme du livre témoignent de ce que l’auteur, personnellement satisfait de sa situation dans un pays dont la gouvernance lui convient et dans un système économique et financier dont il n’anticipe aucun risque grave le concernant, ne voit que des jeux (par définition toujours trop coûteux et insuffisamment sérieux !) dans ce qui est né d’une ambition initiale profondément politique.
On lui donnerait néanmoins raison (pour accepter un degré de tyrannie plutôt que de subir plusieurs degrés de réchauffement climatique) si le débat sur le rôle du minage dans la transition écologique n’était pas expédié par quelques citations apocalyptiques, si les arguments des contradicteurs (arguments qu’il connaît mieux que ce qu’il en montre ici) étaient honnêtement exposés, pour que le lecteur puisse effectivement juger ; et juger cela se fait normalement après une instruction à charge et à décharge, un réquisitoire et une plaidoirie.
Le livre ne vise cependant rien d’autre, dans la poursuite de ce que réclamait la Tribune de l’Institut Rousseau co-signée en février dernier avec MM. Dufrêne et Servet, qu’une interdiction de facto dont on voit bien à la lecture qu’elle viserait à défendre l’ordre politique actuel (si c’est un ordre…) bien plus que les équilibres naturels.
Finalement et malheureusement, un tel livre, intentionnellement ou non, et la politique qu’il soutient encouragent les propos toxiques et les postures provocantes.
CONFÉRENCES DE JEAN-PAUL DELAHAYE
En 2014, à l’espace des sciences (Rennes): entre dénonciaition du mining et Bitcoin maximalisme ?
En mai 2017 à Normale Sup, sur le contenu en calcul
En novembre 2017, au meet-up du Cercle du Coin à Bruxelles : des doutes plus clairement affichés.
En 2020 (déjà) : dépasser le Bitcoin
En 2020, Vidéo conférence organisée par le Cercle du Coin durant le premier confinement