Trigger Warning : Cet article contient des discussions sur des agressions sexuelles envers des mineurs.
« Alors, tes résolutions pour 2024 ? » demande votre collègue qui va « arrêter le café » pour une semaine. Remplie de foie gras, de buche et de vin, on s’assoit à notre bureau dans l’espoir que le mois le plus « triste » de l’année (véridique) passe vite… Eh bien aujourd’hui c’est vendredi, félicitations, nous arrivons au premier week-end de 2024, bien mérités. Et qui dit vendredi, dit une nouvelle plongée au cœur du Metaverse. Au programme cette semaine, une édition un peu spéciale, où nous parlerons exclusivement de l’histoire de viol dans le Metaverse qui a secoué l’Angleterre, et qui soulève des questions d’éthiques importantes.
La police britannique enquête sur un viol dans le Metaverse
L’incident récent dans le Metaverse, où la police britannique a ouvert une enquête sur le viol virtuel d’une jeune fille de moins de 16 ans, marque un tournant significatif dans la façon dont nous percevons et réglementons les interactions dans les mondes virtuels.
Ce cas, qui implique l’avatar d’une adolescente dans un jeu de réalité virtuelle, soulève des questions complexes sur la sécurité, la légalité et la morale dans ces espaces numériques émergents.
La victime, portant un casque de réalité virtuelle, jouait à un jeu immersif lorsque son personnage a été agressé par ceux de plusieurs joueurs masculins. Bien que la jeune fille n’ait subi aucune violence physique, l’impact émotionnel et psychologique de cet acte a été profond, mettant en lumière les répercussions psychologiques potentiellement graves des actions commises dans le Metaverse :
« L’impact émotionnel et psychologique sur la victime est souvent plus durable que les blessures physiques » à déclaré un officier supérieur au Daily Mail.
« La police enquête sur le premier cas de viol collectif virtuel dans le métaverse » : et désormais ses « participants » risquent de véritables peines parce que la victime « a été traumatisée comme dans la vraie vie ».
« En Grande-Bretagne, la police enquête sur une affaire de viol… pic.twitter.com/JzHDWkFNTA
— Péonia (@CalliFanciulla) January 3, 2024
Ce cas soulève une question clé : peut-on considérer un acte commis dans un environnement virtuel comme équivalent à un acte commis dans le monde physique ? Les autorités se trouvent face à un défi juridique majeur, car selon les lois actuelles au Royaume-Uni, une agression sexuelle est définie par un contact physique sans consentement.
Ainsi, même si l’enquête a été prise au sérieux, les chances de poursuites judiciaires réussies semblent faibles, mettant en évidence un fossé entre les lois existantes et les crimes potentiels dans les mondes virtuels.
Selon le « Rape Crisis England & Wales », entre juillet 2022 et juin 2023, 68 109 viols ont été enregistrés par la police et, à la fin de cette période de 12 mois, des poursuites avaient été engagées dans seulement 2,2 % (1 498) des cas.
Cependant, l’implication du ministre de l’intérieur britannique, James Cleverly, à relancer le débat.
Le ministre de l’Intérieur s’en mêle
L’affaire a tellement fait parler d’elle que le ministre de l’Intérieur s’en est mêlé. En effet la victime de moins de 16 ans (les détails ont été omis pour la protéger) avait déjà été agressée sexuellement par le passé, et une question de sécurité a été soulevée dans les médias : le Metaverse est-il une « passerelle » pour les pédophiles et prédateurs sexuels ?
Pour le ministre, l’histoire est à prendre extrêmement au sérieux :
« Quelqu’un qui est prêt à faire subir à un enfant un tel traumatisme dans un monde numérique peut très bien être quelqu’un qui pourrait ensuite faire des choses terribles dans le monde physique. »
Le ministre craint que les mondes virtuels, dont le public est principalement jeune, ne deviennent un terrain de jeu pour les prédateurs sexuels. Réelle ou non, pour lui, une agression est une agression :
« Je sais qu’il est facile de dire que ce n’est pas réel, mais l’intérêt de ces environnements virtuels est justement qu’ils sont incroyablement immersifs », a déclaré M. Cleverly à la chaîne LBC :
« Cela aura un effet psychologique très important sur les victimes et nous devrions être très, très prudents avant d’en faire abstraction. »
Ian Critchley, responsable de l’enquête sur la protection et les abus de l’enfance au Conseil national des chefs de police, a souligné l’idée que le Metaverse pourrait servir de « terrain propice » pour les prédateurs. Ce constat appelle à une réflexion sur la nécessité de nouvelles lois et réglementations pour protéger les utilisateurs dans ces espaces numériques.
Un flou juridique
Bien sûr, il n’existe actuellement aucune loi pour agression sexuelle dans un univers numérique. Et le problème ne semble pas être isolé : en 2021 Horizon World (le Metaverse géré par Meta) enregistrait déjà des plaintes pour « agression à caractère sexuel ».
Une utilisatrice révèle sur le groupe Facebook officiel du Metaverse que son personnage a été victime d’une agression sexuelle perpétrée par un autre avatar. Outre cette agression, l’utilisatrice explique « que d’autres personnes soutenaient ce comportement », lui procurant un sentiment d’isolement encore plus grand.
« Le harcèlement sexuel n’est pas une plaisanterie sur l’internet ordinaire, mais le fait d’être en réalité virtuelle ajoute une autre couche qui rend l’événement plus intense » explique-t-elle dans son post.
Une femme a été victime d’un viol collectif virtuel dans le Metaverse de Facebook. Nina Jane Patel explique avoir été agressée par 3 ou 4 avatars masculins aux voix d’hommes, sur la plateforme Horizon Worlds. L’attaque, qui s’est produite en décembre, l’a laissée sous le choc. pic.twitter.com/z2Aq4537uI
— AJ+ français (@ajplusfrancais) February 3, 2022
Un incident que Vivek Sharma, vice-président d’Horizon chez Meta, a qualifié « d’absolument malheureux ». L’entreprise s’est occupée d’examiner l’incident avant d’en conclure que l’utilisatrice aurait dû utiliser les mesures de sécurité proposées par Horizon Worlds ; les mondes privés.
Enfin un point commun avec le monde réel, c’est la faute de la victime ! Non, ce n’est jamais la faute de la victime. Meta avait alors senti la polémique arrivée, et après cette première annonce la porte-parole de Meta avait dû préciser :
« Nous voulons que tout le monde dans Horizon Worlds ait une expérience positive avec des outils de sécurité faciles à trouver — et ce n’est jamais la faute d’un utilisateur s’il n’utilise pas toutes les fonctionnalités que nous offrons. Nous continuerons à améliorer notre interface utilisateur et à mieux comprendre comment les gens utilisent nos outils afin que les utilisateurs soient en mesure de signaler les choses facilement et de manière fiable. Notre objectif est de rendre Horizon Worlds sûr, et nous nous y engageons. »
Repenser nos perceptions du virtuel
Cet événement soulève des questions cruciales sur la nature de la réalité, de l’identité et du consentement dans un espace où les frontières entre le virtuel et le réel deviennent de plus en plus floues.
Éthiquement, cet incident nous confronte à la nature de l’expérience dans le Metaverse. Comme l’exprime Sherry Turkle dans « Life on the Screen », le Metaverse n’est pas une évasion de la réalité, mais une extension de notre réalité sociale et personnelle. Lorsqu’une jeune fille subit un traumatisme dans un espace virtuel, cela remet en question la distinction traditionnelle entre « réel » et « virtuel ».
La douleur et le traumatisme ne sont pas moins réels parce qu’ils sont expérimentés dans un espace numérique. Cela nous oblige à considérer le Metaverse non pas comme un simple jeu, mais comme un espace social doté de conséquences réelles.
Les philosophes comme Nick Bostrom ont longtemps questionné la nature de la réalité et notre interaction avec les univers virtuels. Dans le cas du Metaverse, les utilisateurs créent des avatars qui agissent comme leurs extensions numériques. La question de savoir si les actions commises contre ces avatars peuvent être considérées comme équivalentes à des actions dans le monde physique devient pertinente.
Cela renvoie à la théorie de Bostrom sur la simulation, qui suggère que si une réalité est suffisamment convaincante, elle peut être indiscernable de la réalité physique, soulevant ainsi des questions sur la nature de nos expériences et de nos droits dans ces mondes numériques.
Juridiquement, ce cas représente un territoire inexploré. Comme l’a suggéré Lawrence Lessig, professeur de droit à Harvard et auteur de « Code and Other Laws of Cyberspace », le cyberspace demande une réinterprétation des lois traditionnelles.
Dans le contexte du Metaverse, les lois actuelles ne prennent pas en compte la nature immatérielle des interactions virtuelles. Par conséquent, des infractions telles que le « viol virtuel » posent des défis majeurs quant à leur classification et leur poursuite. Cette affaire souligne la nécessité d’un cadre juridique qui puisse s’adapter aux complexités des mondes numériques, où les actions peuvent avoir des répercussions psychologiques et émotionnelles réelles, bien que non physiques.
Dans le Metaverse, où les interactions sont profondément personnelles et immersives, la question de la protection des utilisateurs contre les abus potentiels devient essentielle. Cette enquête est donc un point de départ crucial pour une réflexion plus large sur la manière dont nous définissons, interprétons et réglementons les comportements dans les mondes virtuels.
On remonte à la surface
Voilà, c’est tout pour nous cette semaine. Cette plongée était plus sérieuse que mes colonnes habituelles, mais sujet oblige. Dans un avenir où nos vies peuvent être de plus en plus vécues dans des mondes numériques, comment pouvons-nous garantir que nos valeurs et nos droits soient préservés dans ces nouveaux espaces d’interaction humaine ? Nous faisons fasse a des défis auxquelles nous n’avons jamais été confrontés et avec l’expansion de ces nouvelles technologies, nous ferons fasse a de plus en plus de problèmes inédits.
À la semaine prochaine pour une nouvelle plongée au cœur du Metaverse.
Sources : LBC , Euronews, Hitek, Dailymail, BFMTV
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