L’article précédent présentait La métamorphose de l’écosystème Binance, la grande étoile flamboyante du monde de la crypto.
Pour tenter d’aller plus loin, regardons quelques détails de cette croissance, car grâce à l’effet cumulé de sa plateforme d’exchange centralisée et de sa Binance Smart Chain (BSC), Binance est-il en train de devenir un réel concurrent du réseau Ethereum ?
La BSC est-elle vouée à la réussite et à une montée en puissance inévitable?
Il est bon de rappeler les bases: la Binance Smart Chain utilise la machine virtuelle d’Ethereum (EVM). De fait, le code et les principes de cette blockchain sont issus et compatibles avec le protocole Ethereum. La Binance Chain tout en conservant et en optimisant les performances de l’écosystème centralisé : rapidité des transactions et frais quasiment nuls.
Utiliser Ethereum comme base de travail est très pertinent car Ethereum – après le protocole Bitcoin – est la plus mature des blockchains intégrant des systèmes d’exécution automatiques des programmes.
En choisissant cette compatibilité au système Ethereum, Binance s’est directement inséré dans un espace vertueux avec un modèle de haute sécurité et d’autres garanties non négligeables :
- les programmeurs Solidity sont déjà là
- les DApps et leurs smart contracts Open Source sont complétements lisibles, vérifiés et donc copiables à loisir
- les DApps, les composants de l’écosystème et les outils qui fonctionneront avec la BSC ne nécessiteront aucun changement majeur par rapport à leur existence sur Ethereum.
La stratégie de Binance serait-elle de rattraper son retard en absorbant les savoirs et la communauté de développeurs de la Blockchain Ethereum ?
En effet, elle offre au marché de la DeFi made in BSC les mêmes DApps que celles qui existent sur le protocole Ethereum, mais avec des conditions nettement plus avantageuses actuellement. C’est pourquoi les développeurs peuvent faire fonctionner sur la Binance Smart Chain (BSC) leurs DApps et profiter des performances des transactions du Binance DEX, peu importe que le code ait été copié ou créé.
Vrais besoins, vraies innovations et vraies copycats
Cependant, ce n’est un secret pour personne que la grande majorité des projets de BSC ressemble à s’y méprendre aux DApps existantes déjà sur Ethereum. Certes il y a un nouveau logo, un nouveau nom, et d’autres caractéristiques décoratives, mais globalement il s’agit bien de copycat des fondamentaux (le code source) ainsi que les smart contracts. Dans l’économie de l’open source, pourquoi réinventer le code quand il est à la disposition de tous, testé et corrigé qui plus est !
PancakeSwap, un Dex, des pancakes et des lapins
PancakeSwap sur Binance Smart Chain reproduit exactement les mêmes services que ceux d’Uniswap sur Ethereum. Comme Pancakeswap est pour le réseau Binance ce que Uniswap est pour les tokens ERC20 du réseau Ethereum, elle est l’application la plus utilisée dans l’écosystème BSC et l’élève dépassant souvent le maitre son volume d’échange est supérieur à celui d’Uniswap.
PancakeSwap est donc devenu le premier DEX (Decentralized Exchange) en un temps record, grâce à des frais défiant toute concurrence (moins de 1 $)! Néanmoins, même s’il s’agit initialement d’un fork, le Dex des lapins implémente aujourd’hui des fonctionnalités n’existant pas sur Uniswap et ses concurrents Ethereum (NFT, Loterie, Ordre visible comme un CEX classique).
Venus Protocol, la déesse de l’amour vous fait crédit
Venus sur Binance Smart Chain reproduit exactement les mêmes services que ceux d’Aave sur Ethereum. Comme Venus est pour le réseau Binance ce qu’Aave est pour le réseau Ethereum, elle est une des applications les plus utilisées dans l’écosystème BSC et son volume d’échange est quasiment égal à celui d’Aave.
Venus est un protocole de financement décentralisé qui permet à n’importe qui de prêter et d’emprunter de la cryptomonnaie sur la BSC. Les déposants fournissent des liquidités à cette pool de liquidités pour gagner un revenu passif. Les emprunteurs peuvent obtenir des cryptos en échange du paiement d’un taux d’intérêt variable.
Venus a enrichi le protocole d’Aave : il a ajouté sur cette fonctionnalité initiale de Lending/Borrowing classique la possibilité de créer aussi des coins synthétiques, c’est-à-dire des coins dont la valeur est indexée sur un panier de coins existants (nb: le mix est ajustable au cours du temps afin de conserver les proportions de collateral).
Des rumeurs journalistiques relatent que Venus travaillerait aussi avec des gouvernements afin de créer un réseau de stablecoins spécifique à chaque région du monde.
Après avoir copié et enrichi Aave, Venus chercherait-il aussi à copier Diem, la nouvelle version de Libra proposée par Facebook ?
Autofarm, le Yearn.Finance de la BSC
Autofarm sur Binance Smart Chain imite parfaitement la Dapp Yearn.Finance d’Ethereum. Comme Autofarm est pour le réseau Binance et blockchain ECO de Huobi ce que Yearn.Finance est pour le réseau Ethereum, c’est aussi une des applications les plus utilisées dans l’écosystème BSC et blockchain ECO de Huobi (HECO).
Si Yearn.Finance est un écosystème décentralisé d’agrégateurs qui utilisent des services de prêt tels que Aave, Compound, Dydx et Fulcrum pour optimiser les rendements des tokens, sans surprise, AutoFarm est un agrégateur de Dapps, qui source et met en œuvre les stratégies les plus optimales pour maximiser les rendements des utilisateurs.
La liste des DApps transposées de la blockchain Ethereum à celle de la Binance Smart Chain est très longue et commence dès les premiers outils indispensables à l’existence même de l’écosystème de la blockchain : DefiPulse est un clone de DefiStation, et BscScan un frère jumeau de EtherScan.
Ci-dessous, le screenshot d’Etherscan et celui de la Binance Smart Chain Explorer, pas sûr que vous gagnez au jeu des 7 erreurs !
Chose normale dans la mesure où l’équipe d’EtherScan a été directement recrutée par Binance pour développer BscScan, preuve supplémentaire du désir de Binance de permettre une transition facile des utilisateurs d’Ethereum vers sa BSC.
Peut-on dire que la stratégie de Binance est opportuniste ?
Assurément car en faisant un copié/collé des systèmes d’Ethereum, Binance et ses développeurs sont assurés d’avoir les meilleures garanties de qualité et de sécurité et d’innovations : les forks permettent de récupérer l’intégralité des éléments et n’ont pas besoin d’être vérifiés si les modifications sont uniquement de l’ordre cosmétique tel que le changement du logo et le nom du token.
En revanche, ce transfert de valeurs financières est important car il montre que la BSC et ses applications sont considérées comme une réelle alternative à l’écosystème de la DeFi hébergé par Ethereum … d’autant plus qu’aujourd’hui les frais trop élevés d’Ethereum nuisent à la réalisation des transactions, surtout quand elles sont de faibles montants.
Il n’en reste pas moins que Binance conjure la Defi à sa sauce, la C-Defi …. la Defi Centralisée … le comble du comble ! Pour anticiper demain, que pourrait-il se passer entre DeFi et C-DeFi, entre ces deux titans Ethereum et Binance?
A quand le retour de l’ETH 2.0 ?
Pour l’instant, tout ce qui concerne Ethereum est sous l’eau, assommé par les frais insensés. Sur BSC, les utilisateurs ont exécuté 5 millions de transactions et n’ont dépensé que 456 000 $ en frais de transaction, soit des frais de transactions inférieurs à 1$. Sur Ethereum, les utilisateurs ont exécuté 46 millions de transactions et ont dépensé plus de 207 millions de dollars en frais de transaction.
C’est pourquoi la communauté core des développeurs d’Ethereum se focalise depuis décembre 2020 pour travailler d’arrache-pied et sortir la nouvelle version ETH2.0 le plus tôt possible, même si personne ne peut prédire sa date ! (transformations commencées dès réception des 524 288 ETH mis en dépôt).
Ils se focalisent aussi sur l’EIP-1559, une évolution qui réduira drastiquement les bénéfices des mineurs (soft fork), mais rendra plus prévisibles les frais pour l’utilisateur.
L’ETH2.0 c’est le passage du Proof of Work (PoW) au Proof of Stake (POS). Le mode de consensus de cette nouvelle blockchain utilisera le sharding pour distribuer la charge du travail de validation des transactions des blocs à miner sur des sidechains parallèles.
De son côté, la Binance Chain fonctionne avec une forme de preuve d’autorité (Proof of Staked Authority – PoSa) et s’appuie sur un réseau de 21 validateurs répartis sur les serveurs AWS d’Amazon. Ces 21 nœuds sont hébergés sur des data centers décentralisés géographiquement qui servent les 40 millions d’utilisateurs de Binance.
À titre de comparaison, Ethereum est réparti sur plus de 10.000 nœuds indépendants à travers le monde, alors que les 21 nœuds de la BSC sont probablement sélectionnés et administrés par Binance. Les utilisateurs de celle-ci, pouvant déléguer leur BNB à ces validateurs, il s’agit néanmoins d’une bonne introduction au PoS et au DPoS pour les néophytes.
Des résultats tangibles pour cette confrontation ?
Binance est parfois comparé à un ersatz de l’écosystème d’Ethereum dont il cannibalise l’écosystème mature afin de le transposer sur la Binance Smart Chain en cours d’apprentissage.
Mais il faut admettre qu’il s’est beaucoup développé et qu’il se positionne en moins de 4 ans comme le 3e plus grand acteur de la blockchain. Le système est centralisé, certes mais il répond à un vrai besoin : il apporte des plus-values réelles et surtout une meilleure expérience utilisateur. Le dernier chantier de Binance cherche à développer l’ergonomie pour l’utilisateur avec Binance Bridge, un mécanisme de DeFi crosschain qui augmente l’interopérabilité, notamment celle qui concilie les deux grands écosystèmes DeFi existant : Ethereum et Binance.
Avec cette kyrielle de DApps, et autres systèmes de rémunérations attractifs, il génère un engouement constant et revivifié – un FOMO toujours plus rapide – autour des cryptos et capte l’attention sur tous les fronts avec :
- des millions de développeurs Solidity
- des très nombreuses nouvelles DApps en cours de fork ou de développement
- des millions d’acheteurs
Même si cet écosystème est centralisé, les adresses uniques sur la Binance Smart Chain ont augmenté de plus de 270 % au cours des sept derniers jours seulement. Au moment où j’écris ces lignes, d’après The Ethereum Blockchain Explorer et Binance Smart Chain Explorer, Ethereum compte 141 193 510 adresses alors que la BSC en compte 1 369 199.
Une stratégie qui maximise 2 ans de non-concurrence pour devenir le prochain leader de la Defi,des DApps et de la blockchain
Binance offre à tous l’immense bénéfice des frais et des temps de transaction qui sont quasi-inexistants, avec une grande facilité d’utilisation. Ces 3 paradigmes sont déjà suffisants à eux seuls pour convaincre de nouveaux utilisateurs de tester cet espace d’échange et de DApps.
Au-delà de ces bénéfices immédiats, Binance avait aussi adopté une stratégie de positionnement : ces 2 prochaines années seront consacrées à son hyper croissance, qui ne pourra pas être perturbée par Ethereum, qui doit se focaliser sur la sortie de l’Eth2.0.
C’est pourquoi, dès septembre 2020 Binance a créé un fonds de 100 millions de dollars pour soutenir les projets qui se déploieraient sur la BSC. Ce soutient pouvant aller jusqu’à 100 000 $ pour les meilleurs projets.
Le Binance Launchpool a par le passé mis en avant, ce qui sont aujourd’hui parmi les DApps les plus utilisées. En fonction du nombre de BNB qu’il détient sur la plateforme, l’utilisateur reçoit des airdrop d’un token. En plus d’augmenter l’intérêt du BNB, il s’agit là d’une excellente manière de pousser les gens à se tourner vers la BSC. Dans le même ordre d’idée, Binance avait organisé en décembre un airdrop de Trust Wallet Token (TWT). La spécificité de l’airdrop de l’un des wallets Binance permettant directement d’interagir avec la BSC était qu’il fallait posséder un compte BSC pour le recevoir. Un coup de com pour mettre en avant une solution de l’entreprise et pousser les gens à découvrir la BSC, malin vous en conviendrez.
Sur les 200 millions de BNB émit lors de l’ICO, un système de burn des tokens a été mis en place dès le début afin de réduire cette quantité de tokens et de provoquer un effet de rareté à terme, donc une augmentation du prix du token.
Bref, tout est fait pour que les utilisateurs de la plateforme soient à l’aise, dans leur langue, dans leurs habitudes, et faciliter cette nouvelle économie décentralisée, mais de manière centralisée.
Avec ce rythme et dans cette optique, la Binance Smart Chain pourrait-elle mettre en danger Ethereum 2.0 ?
Au-delà des critiques faciles
Pour résumer et comprendre sur ces avancées :
- Binance est un acteur complètement centralisé
- la Binance Smart Chain a forké Ethereum, en misant sur la compatibilité EVM, car son 1er fork de Tendermint et Cosmos SDK avait attiré peu de volume
- les innovations passent plus par l’enrichissement de l’existant plutôt qu’une R&D fondamentale (à moins que ce soit l’inverse avec une décentralisation de la R&D faite par ses utilisateurs eux-mêmes qui se trouvent rémunérés pour cela, via des airdrop, des loteries, des dotations etc.)
- la communauté d’utilisateurs est animée par le rendement optimisé plus que par un sentiment d’appartenance à une communauté qui veut changer le monde et redonner aux utilisateurs la liberté financière
- l’entreprise est pragmatique et récupère tout ce qui fonctionne ailleurs, afin d’attirer toute créativité et capitaux de n’importe quelle communauté
- l’entreprise dispose d’un capital financier apparemment sans limite , avec de nombreux soutiens financiers et stratégiques
- Binance et ses galaxies savent très bien se mettre en avant dans les arcanes du buzz marketing & réseaux sociaux.
Les pistes de réflexion sont nombreuses et difficiles à cerner, mais il est indéniable que cette entreprise protéiforme est un acteur sérieux dans l’écosystème de la crypto qui fait bouger les lignes – même en mode centralisé-.
Si actuellement, Binance (et ses ramifications) se positionne comme concurrent d’Ethereum, son approche est aussi fondamentalement de faciliter l’accès de son offre aux plus grand nombre, avec la meilleure expérience utilisateur et l’accompagnement client – qu’il soit développeur, utilisateur, investisseur, trader, épargnant, etc – est la clef de l’adoption massive des cryptos ! C’est pour cela qu’il faut peut-être accepter qu’au-delà d’une guerre des genres, le seul enjeu majeur à considérer actuellement est la réussite du web3.0, blockchains, Dapps, Crypto au service de leurs usagers, que ces blockchains s’appellent Ethereum, Binance, Bitcoin, ou encore autrement.
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