Les banques sont-elles allergiques à l’euro numérique ?

Allergie généralisée aux MNBC. Nous apprenions cette semaine que la Société Générale lançait son premier stablecoin à destination du grand public via sa filiale Forge. Une décision qu’il convient de recontextualiser un peu alors que les travaux de la BCE sur l’euro numérique se poursuivent et qu’une nouvelle vague de consultations des professionnels devrait avoir lieu au premier trimestre 2024.

Les banques et la crypto, une histoire compliquée

Historiquement, les banques commerciales nationales de nombreux pays dans le monde ont souvent tenu des propos durs à l’encontre des cryptomonnaies et de bitcoin en particulier.

Un actif qu’elles ne comprenaient pas et qui se limitait d’après elles encore à financer le terrorisme et à blanchir de l’argent. Propos encore tenus récemment par le président du Crédit Mutuel, Nicolas Thery. S’il serait naïf de penser que toutes des transactions en cryptos sont légales, l’ensemble des études faites sur le sujet laissent plutôt penser que le nombre de transactions « sales » serait en réalité plutôt bas.

Le retournement de veste est en cours

Depuis quelques années, les acteurs de la finance traditionnelle se sont mis à tenir un discours ambivalent sur les cryptos. Luttant toujours d’un côté pour dissuader leurs clients d’investir, fermant parfois leurs comptes suite à une transaction ou suite à la déclaration d’une activité liée aux cryptomonnaies. Pour de l’autre côté investir massivement dans cette technologie via la création de filiales ou le rachat de sociétés.

Ce développement a été marqué de plusieurs phases. Dans un premier temps, le recours à la blockchain par les sociétés de la TradFi était limité à une utilisation interne pour automatiser ou donner de la transparence à certains process.

Ce n’est plus seulement le cas aujourd’hui et le lancement du stablecoin de la filiale de Société Générale en atteste.
De plus en plus de sociétés du monde d’avant s’engouffrent maintenant rapidement dans le « web 3 ». Ainsi, Forge (toujours elle) est devenue le premier acteur agréé PSAN au niveau national. Il est certain que le fait que la Société Générale détienne une compagnie d’assurance est une aide indubitable à l’obtention d’un agrément dont l’un des prérequis est justement une police d’assurance spécifique. Il s’agit d’une responsabilité civile professionnelle qui a toujours été refusée aux sociétés cryptos historiques (le hasard décidément).

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Les raisons de ce revirement

À mon sens, l’intérêt plus ou moins soudain que manifestent les banques commerciales à l’égard des cryptomonnaies ne s’explique pas seulement par l’aspect spéculatif ou technologique, il est aussi règlementaire. En ce sens, il constitue une réaction épidermique de ces sociétés qui ont peur de perdre du terrain suite à l’accaparation par la Banque Centrale de la gestion de la monnaie.

L’euro numérique est en effet vendu par la Banque Centrale comme « le nouveau cash » et pourrait donc remplacer, à terme, une part significative de l’épargne d’un certain nombre de citoyens européens.

Or, les dépôts bancaires (l’épargne) sont le levier qui, à ce jour, permet aux banques de proposer du crédit. Pour grossir le trait, plus une banque dispose d’avoirs en ses livres, plus elle peut créer de la monnaie en prêtant de l’argent à d’autres clients.

Ce mécanisme permet à la banque de prêter plus que ce qu’elle détient tout en évitant que le système ne s’emballe complètement en fixant un ratio au-delà duquel la banque ne peut plus accorder de crédits si elle ne dispose pas de dépôts suffisants.

Le lobbying des banques commerciales

Afin d’éviter, ou de limiter, la fuite de capitaux au profit de cette nouvelle monnaie, les banques font du lobbying pour défendre leurs intérêts. Elles militent donc pour un plafond de détention restreint à 500 euros numériques dans votre wallet. Là où la banque centrale propose une limite de détention supérieure, de 3 00 euros (oui, c’est incroyable).

Mais la défiance des banques n’est pas entièrement injustifiée non plus.
Déjà, en ce qu’une baisse des dépôts bancaires conduirait intrinsèquement à une baisse de nombre de crédits proposés par an et, donc, à un ralentissement de l’économie.

De plus, cet euro numérique devrait obligatoirement être accepté par l’ensemble des commerçants, ce qui pourrait induire une concurrence déloyale aux infrastructures privées déjà déployées. Il est même possible que l’euro numérique s’appuie sur ces mêmes infrastructures qui se verraient forcées de lui ouvrir leurs portes alors même qu’il s’agit d’un produit « concurrent » et, surtout, gratuit. L’utilisation de l’euro numérique ne rapportera donc rien aux banques et pourrait même représenter pour elles un surcoût non négligeable qui serait alors assurément refacturé aux commerçants et aux clients par la hausse des frais bancaires.

L’euro numérique n’est pas économiquement viable

Dans un monde normal (oui, nous l’avons quitté il y a longtemps déjà) pour que vous puissiez développer votre produit, il faut que la vente ou l’utilisation de celui-ci vous rapporte de l’argent.

Dans le cadre d’un paiement classique, il s’agit des frais que se partagent les banques qui fournissent le TPE et les entreprises de paiement qui émettent les cartes bancaires. Toutes les transactions sont prélevées d’un petit pourcentage qui permet de continuer à développer le réseau et, aux entreprises, de continuer à grossir.

Dans le cadre d’un paiement bitcoin, des frais de transactions sont payés à chaque opération pour assurer la viabilité de l’ensemble du réseau.

Or, dans le cadre de l’euro numérique, rien de tout cela n’est prévu.
Cette nouvelle monnaie pourrait donc être utilisée sans aucun frais, en se basant sur des infrastructures de paiement qui ont coûté des milliards d’euros à développer tout en leur faisant concurrence.

On comprend mieux pourquoi les banques font grise mine.

Objectif : tuer le bébé avant sa naissance

Vous me pardonnerez pour ce sous-titre imagé, mais il est fort possible que les banques commerciales soient désormais face à un choix impossible. D’un côté, accepter que l’euro numérique ne vienne cannibaliser une part de leur activité en faisant concurrence à leurs produits, leurs applications et en utilisant leur réseau. De l’autre, avaler quelques couleuvres et se lancer dans la course aux cryptomonnaies pour faire en sorte que leurs clients passent par leurs propres produits, et non par l’euro numérique.

Naturellement, aucun établissement de la place ne présentera officiellement les choses de cette manière. Mais entre voir ses clients utiliser le stablecoin que vous avez vous-même développé et vous faire imposer l’utilisation d’une monnaie que vous ne contrôlez pas et sur laquelle vous ne faites en plus aucun bénéfice. La question me semble devoir être « vite répondue ».

Nous ne manquerons pas de vous tenir au courant des développements liés à l’adoption de l’euro numérique où à ceux liés à la mise sur le marché par les acteurs traditionnels de nouvelles cryptomonnaies. En attendant, vous pouvez consulter cet article sur les récentes dérives européennes en matière de vie privée qui, couplées à la mise en place de l’euro numérique, dressent un tableau bien sombre des prochaines années en matière de libertés individuelles.

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