Energivore, spéculatif, non réglementé… A qui profite vraiment le « crypto art » ?

ethereum



Le CEO de Twitter, Jack Dorsey, a mis en vente ce week-end son premier tweet datant de mars 2006 sous forme de NFT (non-fungible token). Les enchères ont atteint les 2,5 millions de dollars grâce à la mise de Sina Estavi, dirigeant de Bridge Oracle et Cryptoland, deux plateformes de cryptomonnaie.

Quelques jours plus tôt, c’est le groupe de rock américain Kings of Leon qui annonçait la sortie de son nouvel album en NFT.  En février dernier, la célèbre maison de vente aux enchères Christie’s a également mis en vente pour la première fois une œuvre numérique, signée de Mike Winkelmann, alias Beeple sur Internet, prenant la forme d’un collage constitué de 5000 images.

« L’introduction récente des jetons non fongibles (NFT) et de la technologie blockchain a permis aux collectionneurs et aux artistes de vérifier le propriétaire légitime et l’authenticité des œuvres d’art numériques », écrit Christie’s dans son communiqué affirmant que sa première vente NFT marque un véritable « tournant » pour le milieu de la vente d’art.

Les NFT sont très énergivores

Mais bien que le concept de « crypto art » puisse séduire en apparence par son côté novateur (voire révolutionnaire pour certains), il cache une réalité bien moins réjouissante. En plus de constituer une bulle spéculative avec tous les risques que cela engendre, les œuvres d’art numériques enregistrées sur la blockchain engendrent des coûts environnementaux très importants. Une problématique majeure dans le contexte actuel du réchauffement climatique qui nécessite une maîtrise accrue des émissions de gaz à effet de serre.

Les NFT des jetons numériques stockés sur une blockchain avec des caractéristiques uniques. Contrairement au Bitcoin, à l’Ether et autres cryptomonnaies, ils sont non fongibles, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas interchangeables, comme les pièces de collection. Ainsi, deux NFT provenant du même émetteur n’ont pas les mêmes attributs et ne sont pas égaux.

Mais au-delà de l’aspect technique du terme, les NFT se définissent avant tout par leur usage, car c’est ce qui leur donne leur valeur. Ils ont été popularisés par le jeu CryptoKitties, développé par la société canadienne Axiom Zen, qui permet aux joueurs d’acheter, de vente et de collectionner différents types de chats virtuels via la blockchain Ethereum.

Des plateformes de ventes dédiées

Une des premières applications de ces jetons sont les jeux vidéo, et en particulier la gestion d’objets dans les jeux en ligne. Un autre cas d’usage est donc la tokénisation d’œuvres d’arts immatérielles. Il peut s’agir d’un tweet, d’une image, d’un texte, d’une vidéo… Ces actifs sont mis en vente sur des plateformes dédiées. Jack Dorsey a par exemple choisi Valuables, qui propose à n’importe quel compte Twitter de tokeniser son tweet sous forme de NFT. Il existe également Nifty Gateway, SuperRare, MakersPlace…

Dans ce cas, les NFT deviennent des sortes de titres de propriété numérique qui attestent de l’appartenance et de l’authentification du bien virtuel. A noter que la valeur marchande de l’œuvre mise en vente ne dépend pas que de sa valeur individuelle mais également de la valeur des NFT et de l’Ether. Et, évidemment, ce « titre de propriété » n’a d’autre valeur que celle qu’il incarne symboliquement. Contrairement à une œuvre d’art physique que l’on peut posséder chez soi et dont une réplique ne sera jamais parfaite, les œuvres numériques sont réplicables facilement et les copies sont indissociables de l’original. La notion de propriété est donc toute relative.

Réduire les déplacements 

Plusieurs artistes ont écrit sur les coûts environnementaux liés au « crypto art ». Sur son blog, Joanie Lemercier, spécialisé dans les projections de lumière dans l’espace, explique s’être intéressé à cette nouvelle façon de vendre ses œuvres numériques afin de réduire ses émissions de gaz à effet de serre liées à ses déplacements entre les festivals, les galeries, les événements, les foires…

Cependant, même si le coût environnemental des NFT varie en fonction des circonstances, il reste toujours très élevé. Le site cryptoart.wtf propose une estimation de l’empreinte carbone du « crypto art ». Par exemple, la consommation énergétique liée à la tokénisation sous forme de NFT de l’image « Fish Store » de l’artiste belge Stijn Orlans est de 323 kilowattheures, ce qui équivaut à la consommation d’électricité mensuelle d’un citoyen européen, d’après cet outil.

Le PoW nécessite des calculs puissants

Pourquoi ce mécanisme utilise-t-il autant d’énergie ? Les principales cryptomonnaies reposent sur un système de validation par « preuve de travail » (Proof-of-work ou PoW) qui a pour objectif de dissuader les attaques informatiques, les spams et les fraudes. En pratique, il s’agit d’un algorithme qui permet la validation des blocs de transaction. C’est le premier mineur ayant fourni la preuve de travail au reste du réseau qui obtient le droit de miner le nouveau bloc et touche une récompense sous la forme d’un token (jeton) dans la cryptomonnaie correspondante.

Or, ce mécanisme est très gourmand en énergie car il nécessite une importante puissance de calcul qui ne fait que croître à mesure que le nombre de blocs augmente, ce à fin de limiter la vitesse à laquelle de nouveaux blocs sont créés. Une étude de l’Université du Nouveau Mexique, publiée en janvier 2020 dans la revue Energy Research and Social Science, a estimé qu’en 2018, chaque Bitcoin créé était responsable de 0,49 dollar de dommages pour la santé et le climat aux États-Unis et de 0,37 dollar en Chine. Des coûts qui sont majoritairement supportés, rappelons-le, par les populations les plus défavorisées et les jeunes générations.

La preuve d’enjeu, une alternative écologique ?

Mais la PoW n’est pas le seul schéma existant. Pour amoindrir le coût environnemental du minage, certains rappellent l’existence d’une méthode alternative, la « preuve d’enjeu » (Proof-of-Stake ou PoS) : un système qui tire au sort celui qui détermine quel nœud aura le droit de créer le nouveau bloc de la blockchain. La probabilité est proportionnée à la valeur réelle que les validateurs ont misée sur la blockchain.

Mais la Proof-of-Stake n’est pas une solution parfaite non plus, et peu de blockchains l’ont concrètement mise en place (on peut citer Avalanche). En effet, certains experts estiment qu’elle ne présente pas le même niveau de robustesse et d’immutabilité que la PoW. De plus, elle crée un mécanisme de sélection puisque seuls ceux qui sont suffisamment riches peuvent rejoindre le processus de validation et de minage.

L’énergie verte n’est pas une solution miracle non plus

Aujourd’hui, 39 % du minage basé sur la PoW fonctionne avec des énergies renouvelables – principalement de l’énergie hydroélectrique – d’après une étude de l’Université de Cambridge publiée en septembre 2020 sur l’industrie des « crypto-actifs ». Mais l’énergie verte n’est pas gratuite dans le sens où pour être produite, elle nécessite la construction d’infrastructures importantes. De plus, elle pourrait être utilisée à d’autres fins que du minage de cryptomonnaie.

D’autant qu’en plus de l’aspect environnemental, le crypto art soulève des problématiques réglementaires importantes. En effet, il n’offre aucune protection en matière de droit d’auteur, contrairement au marché classique de l’art qui malgré certains travers, est encadré par des lois. En pratique, rien n’empêche une œuvre d’être tokenisée (et vendue) sans le consentement de son créateur. Cela se produit d’ailleurs déjà régulièrement. Or, une fois qu’un NFT est frappé, il n’y a aucun moyen de le supprimer.

La fausse solution des smart contracts

Pour sécuriser ce mécanisme, certains avancent l’argument des « smart contracts », un protocole informatique qui grave dans la blockchain les termes de l’accord. Ainsi, il n’exécute ce qui est écrit dans son code qu’à partir du moment où certaines conditions sont remplies. Or, encore une fois, aucune réglementation n’encadre cette pratique.

Ce manque d’encadrement porte nécessairement préjudice aux artistes qui pourraient se faire voler leurs œuvres sans avoir de recours possible. Cela pose plus généralement la question de savoir si le « crypto art » profite réellement aux artistes, notamment les moins célèbres, ou plutôt aux spéculateurs davantage intéressés par l’aspect économique d’une œuvre que par son esthétisme, son histoire, son originalité, le travail qu’elle a nécessité…

Retrouver l’article original de Alice Vitard ici: Lien Source

Publié le
Catégorisé comme Non classé

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *